Histoire et mémoire, témoignage et document, réalisateur et historien constituent autant de binômes dont les termes sont aujourd’hui encore plus souvent opposés que rapprochés. Dans le cadre de cet article, il s’agira de réfléchir à la manière dont les témoignages participent à l’écriture de l’histoire, ainsi qu’à la façon dont il est possible de faire l’histoire des propos tenus par les témoins. Cela conduira à considérer aussi bien la subversion de l’histoire proposée par des auteurs dits postmodernes, que la subversion de cette subversion par le philosophe Paul Ricœur. Pour résumer, on se demandera : comment l’historien peut-il intégrer le subjectif à son récit sans perdre de vue les attendus de sa discipline ? Et quel rôle l’historien peut-il occuper face au surgissement de la mémoire des acteurs de l’histoire ? Comment leur intégration à une forme filmique par un réalisateur peut-elle être interprétée ? Ces réflexions épistémologiques sont ici adossées à l’étude du cas particulier de l’entretien accordé en 1979 par Michael Podchlebnik – l’un des seuls survivants du
Sonderkommando du camp d’extermination de Chelmno – à Claude Lanzmann pour
Shoah. Pragmatiquement, cet exemple et l’analyse d’autres prises de parole du même survivant en 1945 et en 1961, conduisent à quelques gains d’intelligibilités dans la perspective d’une histoire du singulier prenant en compte la mémoire des individus.